vendredi 27 avril 2012

Le comble du malentendu (Lac de Côme)

Sur les rives de Loch Como

Entendu ce matin, dans la salle de petit déjeuner de mon hôtel sur le lac de Côme, cet échange de paroles entre la serveuse et un couple de retraités anglais, si riche en sous-entendus que je ne peux résister à la tentation de le retranscrire:

- BUONGIORNO!

Comme leur café, le buongiorno des Italiens vous explose au visage comme une mine antipersonnel. Quel vigueur! Et comme notre bonjour semble hésitant et pâle, compassé, réfléchi, à côté de ce buongiorno ensoleillé. C'est la première ligne de leur credo. Qu'il pleuve, qu'il vente, peu importe! Par la seule grâce de ce buongiorno, c'est un jour propice, un jour faste, qu'il faut saluer dignement en le proclamant haut et fort, sans hésitation. C'est toujours ça de gagné... Les mots sont comme les apparences, en Italie: il leur faut de l'éclat.

Le buongiorno de la serveuse résonnait encore dans mes oreilles quand, après un long suspens, j'entendis s'élever du fond de la salle un interminable ......heeeeelllllooooooo nasal et filandreux, dont les inflexions multiples et contradictoires semblaient hésiter entre la question et l'affirmation.

Le hello des Anglais... c'est tout un monde! D'abord, il y a les points de suspension, cette légère hésitation que l'Anglais place systématiquement en début de conversation.Car devant l'Autre, l'Anglais hésite*. Toujours. Il n'hésite pas parce qu'il n'est pas sûr de lui ou des dispositions de son hôte (même si la vie lui a enseigné qu'il ne fallait jamais être sûr de rien), il hésite instinctivement, de tout son être. Car lorsqu'il est sobre, ce grand empiriste ne veut présumer de rien, et surtout pas de l'opportunité d'une rencontre!

Selon l'Oxford English Dictionary, hello descendrait du haut allemand halâ, l'impératif du verbe halôn, qui a donné au français le terme de marine héler. J'imagine mes deux retraités anglais, récemment trépassés dans un accident de voiture sur la corniche du lac de Côme, qui arrivent sur les berges lugubres du Styx. Ils aperçoivent Charon, le convoyeur des âmes, qui attend dans sa barque, sur l'autre rive.

- ...Hello? ...Hello!? Nous sommes désolés de vous déranger, mais vous avez une barque et comme vous pouvez le constater, nous aurions besoin de traverser le fleuve, alors, si ce n'était pas trop vous demander... Ah? Vous êtes batelier? Wonderful! Eh bien, si vous n'avez pas d'autre client... Et pour la question du paiement - voyez-vous, c'est embarrassant, mais nous sommes un peu démunis... Nous n'avons que deux oboles. Une obole chacun, dites-vous? C'est parfait alors!

Et au moment d'embarquer, le mari tend la main à Charon et lui dit, avec toute la bonhomie dont il est capable:

- Hello, my name is John and this is my wife Kate...

En pareilles circonstances, aucun Italien n'aurait songé à dire "Buongiorno!".

Hello!?

* Je ne résiste pas à la tentation de citer cette phrase de J.L. Borgès, trouvée depuis mon retour dans Tlön, Uqbar, Orbis Tertius, où il parle d'un vieil ingénieur anglais, un ami de famille: Mi padre habia estrechado (el verbo es excesivo) una de esas amistades inglesas que empiezan por excluir la confidencia y que muy pronto omiten el dialogo. Il connaissait bien son sujet...