mardi 20 mars 2012

L'élégance du zèbre

Dans Paris Milonga (1981), Paolo Conte explore les bas-fonds de Paname, fasciné par  l'eleganza [della] zebra. Pour cet avocat turinois natif d'Asti comme pour tous les Italiens du Nord, l'élégance est forcément classique: le reste, c'est du zèbre. Or l'Italie du Nord est devenue la terre d'asile de l'élégance classique, son dernier refuge: il se vend à Milan plus de chemises Brooks Brothers qu'à New York et à Vérone, plus de lodens qu'à Vienne. Pour les Signori et les Signore de la plaine du Pô, nous sommes tous des zèbres. Londres, Paris, New York, Tokyo: seule change la couleur des rayures. Même Rome ressemble à un zoo, vue de Padanie.

lundi 19 mars 2012

Hors le malentendu, point de salut

Pris en flagrant délit de divagation

Le guide de voyage moderne est par définition pratique, calibré et concis; sont exclues la possibilité de se perdre dans ses pensées et celle de se tromper d'adresse.

Ce sont les accidents de parcours d'un périple entre Trieste et Turin qui m'ont fourni la première matière de ce journal, l'équivalent dans le domaine des guides de voyage du fromage de tête, dont la saveur et l'intérêt, comme chacun sait, tiennent moins à la noblesse des morceaux qu'à la quantité d'ail que le boucher a mis dans la persillade.

Paris, 1877- Palerme, 1933
Parmi mes mentors, je mentionnerais Raymond Roussel, qui fit le tour du Pays du Soleil Levant sans jamais sortir de sa voiture et qui au terme de son périple déclara que "le Japon [lui] a[vait] beaucoup appris sur [lui]-même", une manière pour l'auteur de Locus Solus de démentir la rumeur selon laquelle il avait fait un voyage au Japon, quand il n'était techniquement jamais sorti de son imagination. Car Raymond Roussel, en grand voyageur automatique qu'il était, n'avait pas besoin de voir des pagodes pour aller à leur rencontre (il semble qu'il ait fait la plus grande partie du voyage avec les rideaux tirés). Et lorsque accidentellement il lui arriva d'en voir une par la fenêtre de son automobile, force lui fut de constater qu'elle coïncidait exactement avec l'idée qu'il s'en faisait. On l'aura compris: la pagode, c'était Raymond Roussel, et vice-versa.


Quant à moi, je suis l'herbe folle qui pousse sous l'auguste portique de la Villa Forni Cerato, à Montecchio Precalcino.