mercredi 11 avril 2012

Images volées (Udine - Mirano - Vicenza)

Les musées de Vénétie interdisent désormais les photographies. C’est nouveau - personne ne peut m'expliquer pourquoi. Pour satisfaire ma lubie naissante pour les Tiepolo père et fils, je suis donc obligé d'enfreindre la loi en prenant des photos en cachette. Premier constat: on y prend goût. Je me suis mis à vérifier systématiquement l'emplacement de caméras de surveillance chaque fois que j'entre dans une nouvelle salle, à choisir soigneusement mes angles de prises de vue pour échapper à leur vigilance et en l'absence de CCTV, à attendre patiemment que le gardien aille fumer une cigarette sur le parvis pour mitrailler à mon aise.

A Vicenza, dans la Villa Valmarana, un couple de touristes allemands a trouvé à redire à mon nouveau passe-temps. Le mari portait un gros Nikon réflex autour du cou, qu’il était manifestement frustré de ne pas pouvoir utiliser. Quand ils m’ont vu sortir mon petit Canon, la femme s'est mise à pouffer, les yeux écarquillés, en battant les bras comme une oie. Pfffffffffff… Voyant que je l’ignorais superbement, ils ont échangé quelques paroles animées comme pour essayer d’attirer l’attention des gardiens, qui fort heureusement ne parlaient pas allemand. Ils avaient beau lever la voix, gesticuler, faire les gros yeux, rien ne pouvait m'arracher à mon nouveau hobby. La prochaine fois que je me fais attaquer par un chien - je suis une de leurs victimes de prédilection - je vais penser à Tiepolo, pour voir si le molosse ne rentre pas sagement dans sa niche.

Voici une des plus belles pièces de ma collection.

Giambattista Tiepolo - Le Jugement de Salomon (Palazzo Patriarcale, Udine)
J’aime l'énorme pancia et le ruban violet noué autour de la taille, le lévrier impassible, la perspective angélique inversée, cette foule de badauds hétéroclites, ces couleurs aériennes, fraiches et légères comme des drapeaux qui flottent dans le ciel de Vénétie, ces couleurs enfin vidées de leurs signification alchimique – je ne devrais pas le dire mais depuis que je visite l'arrière-pays vénitien, la Renaissance m’ennuie avec ses allégories, ses poses figées, son sens caché, sa religiosité, etc… Aujourd'hui, il n'existe à mes yeux rien de plus beau qu'une fresque de Tiepolo père et fils. 

Impazzisco per Tiepolo, tanto che…

Villa Zianigo - Mirano

Ma nouvelle vocation a failli me valoir des ennuis. La veille de mon passage à Vicenza, j’ai perdu plusieurs heures à chercher la villa que Giandomenico Tiepolo (le fils) se fit construire à la fin de sa vie dans les environs de Mirano, 20 km à l’est de Venise, et qui à ma grande déception est fermé depuis des années, abandonnée. En inspectant la clôture – depuis quand est-ce que j’inspecte les clôtures ? - j’ai fini par trouver un morceau de grillage à moitié arraché. J'étais sur le point de me faufiler dans la propriété lorsque j'ai aperçu le visage d’une vieille dame, collé à la fenêtre de la maison voisine, dont les yeux perçants s’étaient plantés entre mes omoplates avec la rage glaciale d’une sirène d’alarme. Si je n’avais pas tourné la tête à cet instant précis et si je n’avais pas décelé sa présence, il y a fort à parier qu’elle aurait appelé les carabinieri. Un après-midi n’aurait peut-être pas suffi à leur expliquer comment ma passion pour Tiepolo m’avait amené à m’introduire dans une propriété privée comme un voleur.

Je ferais peut-être mieux de m’acheter une monographie avant qu'il ne soit trop tard.