Le vendredi de Pâques, trois hommes armés font irruption
dans un supermarché des environs de Reggio Calabria, demandent la caisse au patron, qui refuse de la leur donner, puis ouvrent
tous le feu en même temps: frappé de six balles, dont trois au thorax, leur victime s’effondre. Ce qu’ils ne savent pas, c’est
que l’homme qu'ils viennent d'abattre et qui gît désormais à leurs pieds est le
crimine, c'est-à-dire le stratège, d’une
cosca locale, un membre galonné de le 'Ndrangheta. Alors qu'un des tireurs enjambe le corps apparemment sans vie pour accéder à la caisse, la victime saisit
ses jambes dans un sursaut ultime, le fait trébucher puis, après lui avoir arraché son arme
des mains, lui tire deux balles dans le cœur, à bout portant, avant de
trépasser.
C’est le fantasme de tout crimine de venger lui-même sa propre mort. Frappée par la
bestialité et par l’étrange perfection du drame, la presse italienne ne sait
plus sur qui s’apitoyer. Sur le patron de supermarché dont la vengeance, exécutée avec une efficacité presque surhumaine, vient en quelque sorte couronner une carrière entièrement vouée à la violence, ou sur le braqueur, un jeune inconscient de 18 ans qui ne savait pas qu'il était en train de dévaliser le diable en personne? C’est comme si les deux crimes, dans
leur imparfaite symétrie, s’annulaient l’un l’autre.
Dante aurait certainement enfermé les deux protagonistes dans
la même cellule infernale. Quand à Raymond Roussel, il l'aurait transformée en générateur électrique.